Ils sont une petite dizaine à traîner devant le collège ce vendredi de juin, entre éclats de rire et batailles d’eau. Yasmine (1), en sweat à capuche, longue queue-de-cheval et mascara sur les cils, son amie, diamant sur le nez et voile flottant sur la tête, Ilyès et Anna s’interpellent et se charrient.
Sur leurs téléphones, qu’ils consultent régulièrement, apparaissent dans leurs suggestions TikTok des imams dont ils sont imprégnés des prêches, au premier rang desquels Nader Abou Anas et Rachid Eljay, auparavant connu sous le nom de Rachid Abou Houdeyfa, ancien imam de Brest.
Succès de ces prédicateurs 2.0
« Leurs vidéos, c’est une prise de conscience, pour éviter la fumette, la masturbation, les relations hors mariage, expose Yasmine. Ils nous apprennent beaucoup de choses, par exemple sur l’amitié filles-garçons : ça n’existe pas en islam. »
Sur ces mots, Yasmine échange pourtant un grand « check » avec son ami Ilyès. Tous deux débattent des bienfaits de la prière, dont ils disent avoir repris l’habitude grâce aux imams des réseaux : « Si tu ne pries pas, le lendemain t’es pas bien. Alors que quand tu te concentres sur les bienfaits de la religion, tu te sens mieux ! La prière, c’est un remède. »
Ilyès renchérit : « La religion, ça t’aide dans les épreuves difficiles de la vie. » Il s’interrompt, distrait par l’arrivée d’un jeune homme quelques mètres plus loin : « Lui, il est chrétien, et c’est mon meilleur ami ! » Il court vers lui, avant de profiter de la présence d’une journaliste pour demander la différence entre catholiques et évangéliques.
783 000 abonnés sur YouTube et 2,43 millions sur TikTok
Les adolescents musulmans que La Croix a rencontrés à Paris reconnaissent passer beaucoup de temps à regarder les vidéos des imams des réseaux sociaux, dont Nader Abou Anas et Rachid Eljay, tous deux connus pour diffuser un islam rigoriste. Le succès de ces prédicateurs 2.0 auprès des jeunes collégiens et lycéens se vérifie par leur nombre de « followers » : 783 000 et 2,43 millions d’abonnés respectivement sur YouTube, un peu moins sur TikTok, des plateformes prisées par les plus jeunes.
Les adolescents interrogés assument la place prépondérante de ces imams dans leur formation religieuse, qui complète celle reçue de leurs parents. En regardant leurs vidéos, ils disent avoir repris la prière, trouvé un apaisement et un sentiment de satisfaction personnelle. Ils revendiquent aussi les normes rigoristes qui y sont diffusées, notamment en matière de mixité hommes-femmes. Une sorte d’idéal à leurs yeux… que ces jeunes semblent pourtant loin d’appliquer à la lettre.
Des réponses simples aux interrogations des jeunes
Ce que Fatou, 17 ans, apprécie chez ces prédicateurs, c’est d’abord qu’ils parlent « comme s’ils étaient des amis ». Ils répondent aux questions que cette lycéenne se pose sur la pratique : « comment commencer la prière » ou « comment se vêtir ».« Même si le voile, je ne le mets pas, mais bon », nuance-t-elle dans un sourire gêné. Avec son amie Awa, 18 ans, vêtue d’un voile beige, elles trouvent ces discours très importants. « Ça donne un sens à notre vie, insiste Fatou. Ça nous apaise beaucoup ! Quand on est triste ou en colère, on peut écouter des paroles du Coran. Quand on fait une bonne action, on est récompensé… »
De fait, nombre de vidéos de ces prédicateurs abordent des sujets mêlant islam et épanouissement, ou procurent des conseils islamiques pour la vie quotidienne : « Trois clés pour une vie heureuse », « Comment réagir face à la méchanceté des gens ? », « Sois pas triste, tout va s’arranger ».
Des « facilitateurs de l’entrée dans l’âge adulte »
Pour Younes Van Praet, sociologue spécialiste de la transmission de l’islam, certains de ces prédicateurs s’inscrivent dans la tendance à succès du développement personnel – même si beaucoup d’autres en font la critique – en « mettant dans les mots de l’islam des problématiques que tout le monde rencontre ». En ce sens, souligne Sami Zegnani, maître de conférences en sociologie à l’université de Rennes 1 et spécialiste des quartiers populaires, il faut veiller à ne pas « particulariser les musulmans ».
On trouve aussi sur les comptes des deux imams vedettes – qui ont mis en scène leur sortie du salafisme pour adhérer à un islam malékite traditionnel – des vidéos sur la manière de bien se comporter, de se mettre en couple… « Ils proposent des recettes clés en main pour devenir adulte, trouver une place dans la société tout en plaisant à Dieu », décrit Sami Zegnani, faisant un parallèle avec les salafistes quiétistes qu’il avait observés en quartier populaire, rencontrant du succès auprès des jeunes parce qu’ils étaient perçus comme « des facilitateurs de l’entrée dans l’âge adulte ». Un discours commun selon lui à « tous les rigorismes non violents », qui intègrent la religion à tous les aspects de la vie.
Pratique religieuse assidue
Les injonctions à une pratique religieuse assidue occupent également une place centrale dans ces discours. Ayoub, 14 ans, s’est ainsi mis à faire ses cinq prières après avoir écouté ces imams. Auparavant, il « négligeait » souvent la prière pour jouer aux jeux vidéo. L’adolescent décrit aujourd’hui cette reprise de la pratique comme une manière de mieux maîtriser sa vie. « C’est bien aussi pour notre avenir. Si on fait bien les choses, ça peut nous aider dans notre scolarité. (…) Quand j’ai commencé à faire mes prières, j’ai commencé à avoir de meilleures notes, j’étais plus posé et mature, je pouvais faire mes devoirs. »
Ces contenus sont aussi imprégnés d’une vision rigoriste de la religion. Ayoub raconte ainsi avoir vu une vidéo d’un imam disant que les hommes ne pouvaient pas faire un « check » à une fille. Depuis, il dit avoir pris de la distance avec le groupe de filles de sa classe. « Au collège, c’est banal de checker une fille ou de rester avec elle, décrit-il. Mais on ne doit pas faire ça. » Younes, 14 ans, estime lui aussi que les imams les encouragent à « être dans le droit chemin » : « Ils nous aident à éviter les tentations comme les filles, les cigarettes. »
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« La religion se transmet de personne à personne »
Kalilou Sylla, 27 ans, imam de la Grande Mosquée de Strasbourg
« Aujourd’hui, nos jeunes vivent sur les réseaux sociaux, et sont forcément touchés par les imams qui ont beaucoup d’influence. Cela arrive souvent que les jeunes m’envoient des vidéos et me demandent mon avis sur leur contenu. En arrivant à la Grande Mosquée de Strasbourg, j’ai lancé les “assises des jeunes”, des séances de formation et d’échange tous les dimanches. Cela n’était pas très répandu en France. Cela répondait à une demande de leur part.
Ce temps permet aux jeunes de se rencontrer et de poser leurs questions directement. C’est aussi l’occasion pour moi de corriger les concepts mal compris, très présents sur Internet, par exemple sur la mixité. J’attire aussi l’attention sur le fait qu’il existe une diversité de courants dans l’islam, dont certains sont problématiques, et je raconte leur histoire. Je crois que la religion est quelque chose qui se transmet d’un cœur à un cœur, de personne à personne. »
Author: Darren Murphy
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Name: Darren Murphy
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Job: Astronaut
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Introduction: My name is Darren Murphy, I am a capable, candid, exquisite, brilliant, Precious, courageous, esteemed person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.